Chapitre XXX

Alors que la chaloupe décollait de Castalia, l’officier responsable examina la figure sombre de Dam, un petit sourire ironique aux lèvres.

« Bienvenue à bord. Bel-Amant ! Tu ne croyais tout de même pas que nous laisserions échapper des talents comme les tiens ? Tu ne sais pas à quel point tu es précieux. »

Dam cracha avec une grande éloquence.

« Pas pour vous. Vous n’avez aucun moyen de me forcer à me battre pour vous ! »

L’officier secoua tristement la tête.

« C’est là que tu te trompes, mon ami libertin du Noyau. Quand je te dirai de te battre, tu te battras. J’ai des méthodes de persuasion, comprends-tu ?

— Elles ne vous serviront à rien. Laissez-moi reprendre mon identité para-ion et je jure que je retournerai vos propres armes contre vous !

— C’est ce que nous verrons ! »

Ayant atteint l’altitude orbitale, la chaloupe ne se dirigea pas vers le vaisseau-amiral, comme s’y attendait Dam, mais beaucoup plus loin où un vaisseau, que Dam reconnut pour un porteur de vedettes-paraformatrices, était placé à l’écart. Il était à peu près certain qu’aucun vaisseau de ce type n’avait accompagné la flotte et il supposa qu’il y avait été ajouté plus tard. Ce fut seulement en abordant contre le sas qu’il s’aperçut que c’était le même vaisseau-porteur d’où il s’était échappé près de Sol. Cela le dérouta un peu, parce qu’il était certain que le vaisseau n’avait pas eu le temps de rejoindre Terra, d’embarquer une seconde vedette-paraformatrice et de voyager jusqu’à l’orbite de Castalia. Il fut encore plus surpris en montant à bord de trouver une seconde vedette-paraformatrice solidement amarrée sur les rampes.

Soudain, il s’arrêta net. Son visage exprima d’abord le soulagement et puis il éclata de rire, inondé d’une joie incontrôlable en comprenant la monumentale plaisanterie. Le regard fou et fiévreux de l’homme qui se précipita pour le délivrer de ses liens ne pouvait appartenir qu’à Satanique ; les autres membres du commando para-ion capturé sur Syman étaient là aussi. Il y avait également un second commando para-ion, aux visages inconnus de Dam, mais visiblement formé d’hommes du Noyau, et manifestement les plus rudes combattants qu’on pût imaginer. Enfin, il y avait Absolue, les yeux brillant d’un éclat triomphant, avec un air de résolution confiante, capable de mettre une armée en déroute. Son bonheur, en le voyant, flamboya comme un phare, et la passion de leurs retrouvailles provoqua une ovation admirative de la part de tous les spectateurs.

Bientôt, l’homme qui s’était fait passer pour un officier terrien vint frapper l’épaule de Dam.

« Tu ne vas pas la manger, j’espère ! J’ai horreur de rompre une étreinte passionnée, mais j’ai une guerre à livrer. Mes sources castaliennes m’ont appris que tu me cherchais.

— Vous êtes Liam Liam ? Oui, vous ne pouvez être que Liam ! Personne d’autre n’oserait opérer si étroitement au sein de la flotte terrienne.

— La faiblesse de la bureaucratie, c’est qu’elle encourage les abus de ceux qui sont assez dépourvus de scrupules pour faire jouer le système contre lui-même. Mais les compliments peuvent attendre. Notre tactique de combat est prête, avec Absolue et toi comme éléments essentiels. Je t’ai bien dit que j’avais des moyens de te persuader de te battre, non ? »

En orbite lointaine, le vaisseau infernal terrien observait avec intérêt l'approche de la chaloupe ; les visiteurs étaient rares et rompaient toujours agréablement la monotonie et la solitude à bord du vaisseau le plus redouté et le plus solitaire de toute la flotte. Sept des armes les plus effroyables jamais conçues reposaient dans un calme inquiet sur leurs berceaux réfrigérés et isolés, chacune à peu près aussi stable qu’une bonbonne de nitroglycérine sur un toit de tôle brûlant. Cela suffisait pour que les visiteurs viennent rarement sans une raison impérieuse.

L’intérêt de l’équipage du vaisseau infernal fut plus vif encore quand de la chaloupe amarrée débarqua une femme officier dont la beauté et la personnalité attirante infirmèrent les exigences des contrôles de sécurité et l’amenèrent tout droit dans un confortable fauteuil de la cabine du capitaine. Cinq secondes après la fermeture de la porte, cependant, le capitaine était mort et la personne para-ion qui ressortit était une femme d’une espèce littéralement plus fatale. Avant que l’équipage du vaisseau infernal ait compris sa nature, la visiteuse fantôme avait détruit à la fois la cabine radio et ses occupants avec des rafales de fulgurant, et s’appliquait à attaquer les contrôles des berceaux qui maintenaient les bombes infernales à l’état inerte.

Quelques hommes d’équipage essayèrent de l’abattre avec des armes de poing mais leur tir fut totalement inefficace. D’autres, pris de folle panique, se précipitèrent vers les engins de sauvetage mais furent éliminés de l’espace par des tireurs d’élite de la chaloupe qui avait reculé et les attendait visiblement. Puis, sur un signal, la chaloupe retourna au vaisseau, embarqua son saboteur fantôme et repartit en toute hâte vers les orbites basses où le gros de la flotte restait dans l’ignorance de l’incident. La chaloupe venait à peine de regagner le porte-engins quand le vaisseau infernal explosa, ce qui fut heureux pour son équipe car les sept bombes en éclatant simultanément engendrèrent une telle émission de radiations thermiques et atomiques mortelles qu’elle mit à rude épreuve les meilleurs écrans de protection de la flotte.

L’explosion du vaisseau fit passer une vague d’épouvante sur toute la flotte. En une fraction de seconde, elle avait été privée de l’ultime menace qu’elle tenait en suspens au-dessus de Castalia. L’inquiétude s’aggrava encore quand le commandant de Secteur resta sourd aux urgentes demandes d’instructions qui inondaient son terminal de communications. Son mutisme aurait sans doute été mieux compris si l’on avait su que le commandant de Secteur Canwolf était déjà mort d’une rafale de fulgurant. Son corps gisait à côté de celui du chef de Sous-Secteur Neilson qui avait été traité de même par les armes d’un officier qui, ayant été admis dans le vaisseau-amiral grâce à de faux papiers, s’était inexplicablement converti à l’état para-ion.

Après avoir privé la Flotte de son commandant, le guerrier fantôme s’était occupé de détruire la cabine des transmissions afin d'empêcher l’émission de signaux d’alarme aux autres vaisseaux terriens. Il s’y prit si rapidement que les officiers radio n’eurent absolument pas conscience d’une attaque à bord avant que leur matériel et eux-mêmes fussent démolis et calcinés. Ensuite, le redoutable fantôme, fauchant tous ceux qui osaient lui barrer le chemin, dévala plusieurs escaliers jusque dans la salle des machines pour bondir sur les tableaux de commande et les saboter si efficacement que le vaisseau-amiral entama une irrémédiable descente en spirale, vers la planète, qui produirait une consumation certaine dès qu’il pénétrerait dans l’atmosphère à la vitesse maximale.

A part cette dernière manœuvre, l’attaque contre le vaisseau-amiral s’était accomplie de telle façon que les observateurs à bord des autres vaisseaux ne pouvaient avoir aucune indication visuelle de ce qui se passait. Le retour de Dam à la chaloupe, cependant, déclencha une nouvelle phase de l’opération. Tandis que le vaisseau-amiral plongeait de plus en plus lourdement vers sa désintégration absolue, des groupes de combattants para-ion de Liam, utilisant les deux vaisseaux-paraformateurs et deux chaloupes, parvinrent à s’introduire dans quatre des corvettes d’escorte. Après avoir éliminé les équipages, ils prirent promptement possession des systèmes automatiques de tir et vidèrent tout l’arsenal de missiles à tête chercheuse sur les parcours orbitaux de la flotte. Cela fait, ils libérèrent plus de deux mille mines spatiales dans les environs immédiats, avant de pousser les réacteurs des corvettes en régime critique et de s’enfuir dans l’espace à bord de leurs petits engins.

Le plan de Liam était la création délibérée d’un chaos total. Ayant fait abattre le commandant de la flotte et rompu la chaîne de communications en plusieurs points, il se consacra à l’intensification de la panique générale croissante. Le Starbucket, loin dans l’espace, se mit à contrefaire les émissions FTL de l'état-major terrien, en diffusant un avertissement de la flotte orbitale castalienne d’une mutinerie armée dans ses propres rangs. Les abords spatiaux sillonnés du jet flamboyant des missiles à tête chercheuse et pleins de mines, toutes lâchées de vaisseaux terriens, de nombreux capitaines n’eurent pas besoin d’autres preuves pour les convaincre de la véracité de ce rapport, et ils se mirent à tirer sur tout vaisseau assez proche pour constituer une menace. Ainsi les armes terriennes se tournèrent-elles sur des vaisseaux terriens et beaucoup de ceux dont les écrans de protection supérieurs résistaient aux missiles, succombèrent à l’efficacité des mines magnétiques spatiales.

La panique et la confusion atteignirent une nouvelle ampleur quand un grand nombre d’engins spatiaux non identifiés se déployèrent hors de l’espace-tachyon sur les lisières du conflit, causèrent des ravages parmi les vaisseaux désorientés et rebondirent dans l’espace-tachyon avant que les systèmes automatiques de tir aient pu calculer leurs brèves trajectoires. La violence des coups portés par ces exaspérants engins fugitifs creusa d’énormes trous dans le dispositif de la flotte et brisa plus encore le moral des hommes quand il devint évident que la force terrienne était promise à une défaite écrasante. Se reprenant maintenant contre un ennemi commun, les vaisseaux tentèrent de se regrouper. Ce fut une grave erreur, car sur Castalia   des silos de missiles dissimulés commencèrent à s’ouvrir et à lancer de formidables fusées destructrices auxquelles même les vaisseaux les mieux protégés ne purent résister.

Finalement, les approches spatiales étant parsemées de mines et de débris dangereux, la plus grande partie de ce qui restait de la flotte terrienne céda à la sommation de reddition sans conditions de Liam. Les quelques unités qui tentèrent de fuir en espace profond se heurtèrent à une nouvelle sorte de cordon, formé des vaisseaux sans immatriculation de la guerre de Liam, fortement renforcés par des vaisseaux volontaires vengeurs qui, désertant le service obligatoire, étaient revenus à toute allure vers Castalia, avides d’assister à la fin de la domination coloniale de Terra.

Rentré à bord du Starbucket, Liam Liam hochait calmement la tête, en examinant les rapports de l’effondrement de la flotte terrienne qui s’entassaient sur son bureau. Finalement, il se tourna vers Dam et Absolue, qui avaient été priés de le rejoindre.

« Ça ne veut pas dire que nous avons gagné, comprenez-vous ? Aucun de nous, encore moins les mondes du Noyau, ne peut se permettre une guerre interstellaire totale. Par conséquent, nous avons besoin d’être plus subtils et de profiter au maximum de nos avantages.

— Que voulez-vous dire ? demanda Dam.

— Nous projetons de porter le conflit vers Sol et Terra, avec des attaques para-ion contre des installations solaires stratégiques et sur la surface même de Terra. Une fois que la destruction sera chez elle, notre planète-mère malade sera forcée de se faire une opinion nouvelle des mégalomanes qui la gouvernent. Ainsi, nous attaquerons la cause de la maladie au lieu de nous battre contre les symptômes. Mais la majeure partie du poids de tout cela retombera strictement sur vous deux, vous comprenez ?

— Pourquoi nous, en particulier ? » demanda Dam.

Liam jeta un coup d’œil à Absolue.

« Explique-lui, dit-il avec une petite grimace ironique.

— Parce qu’ils se sont dégonflés, Amant, déclara-t-elle, avec un mépris écrasant. En dépit de tout ce que nous avons démontré, sur les avantages de la technique para-ion intégrée, quelque chose qu’ils appellent l’éthique leur interdit de faire à d’autres ce qui nous a été fait. Ils vont s’en tenir au vieux système de la cotte de mailles, jusqu’à ce que les laboratoires de Wing Ai découvrent quelque chose de nouveau. Nous ne sommes donc que deux de notre espèce, uniques et indispensables, pour être le fer de lance de la lutte contre Terra.

— Et voilà la vérité, tu comprends ? dit Liam. Alors la question se pose maintenant. Quand serez-vous prêts à commencer ? »

Le regard de Dam croisa celui d’Absolue, et l’étincelle qui jaillit entre eux flamboya comme l’explosion d’une nova dans l’étroite petite cabine de Liam.

« Après la lune de miel, je pense », répondit Dam.

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